Via la lettre de diffusion de l’Institut pour la Protection de la Santé Naturelle :
Bernard Astruc est un militant écologiste depuis 40 ans. Il a notamment contribué à la revue Nature & Progrès pendant de longues années. (1) Il est le coordinateur national de la campagne-pétition « Consommateurs, pas cobayes ! » qui a déjà recueilli plus de 100 000 signatures – à lire et signer sur ici.
Il est par ailleurs conférencier et spécialiste du compost de matières ligno-cellulosiques, pratique dont il a découvert la technique auprès de Jean Pain dans les années 70.
1/ Militant écologiste depuis de nombreuses années, vous avez été amené à changer radicalement de mode de vie. Vous avez changé de métier en passant de la construction à l’agriculture biologique, et vous avez créé votre jardin expérimental. Pourquoi ?
Le point de départ, l’élément déclencheur de ce profond changement, c’est une rencontre avec Jean Pain, personnage très charismatique vivant en quasi-autarcie avec son épouse Ida, et leurs chèvres, dans un grand domaine pratiquement revenu à l’état sauvage : celui de l’ancienne communauté templière de Villecroze au cœur de la Provence. (2)
Le choc fut la découverte, grâce à lui, de la puissance du compost, qui est à juste titre nommé « l’or brun ». Le compost est une matière très hétérogène, à l’odeur un peu âcre, présente au pied de tous les végétaux en forêt. Le compost représente le processus naturel de la fertilisation des sols : l’humus. (3)
J’avais toujours été intrigué par la puissance et la diversité de la masse végétale qui pousse dans les forêts sans l’intervention de l’Homme ! Je réalisai que l’humus devait être à la base de l’Agriculture Biologique. Ce fut une révélation.
Nous touchons là un concept essentiel de l’agronomie traditionnelle qui s’oppose radicalement à celui de l’agro-chimie de synthèse. L’agro-chimie de synthèse ne vise plus à « nourrir le sol » mais à nourrir directement le système racinaire des plantes cultivées. Elle ne considère la « terre nourricière » plus que comme un vulgaire « substrat » dont on pourrait complètement se passer ! (cf. l’agriculture hydroponique ou « hors-sol »).
Car il faut bien comprendre la valeur déterminante du « compost de broussailles » comme le plus « naturel » des fertilisants qui soit. Il est constitué de matières ligno-cellulosiques prélevées et broyées lors des nécessaires opérations de débroussaillage notamment dans les zones pare-feu du sud de la France.
Jean Pain a conçu au départ une technique manuelle nécessitant très peu de moyens matériels et technologiques, qu’il a décrite dans son best-seller huit fois ré-édité entre 1972 et 1981, traduit en cinq langues, écrit avec son épouse Ida Pain : « Un autre jardin ».
Il explique dans ce livre comment la broussaille de l’année peu lignifiée et bien compostée produit en 6 mois un amendement humique jeune permettant d’accélérer d’environ 40 fois le cycle normal de l’humus qui est de 20 ans !
Dans sa préface remarquable, Henri Stehlé (ingénieur agronome, directeur de recherche à l’INRA, directeur des parcs nationaux de Port-Cros et du Mercantour) vante l’importance des découvertes de Jean Pain et de leurs mises en œuvre concrètes qui lui ont valu d’être fait chevalier dans l’Ordre du Mérite agricole.
2/ Pensez-vous qu’il soit plus facile aujourd’hui d’opter pour un changement radical de vie comme vous l’avez fait ?
Non, certainement pas plus facile car le rythme de vie s’est considérablement accéléré et complexifié. Chacun est (hélas) bien installé dans ses habitudes de facilité qui sont un véritable frein au changement.
Mais à coup sûr, ce changement radical est encore bien plus nécessaire car il est devenu très urgent au regard de la crise écologique multiforme, touchant tous les secteurs de la société directement ou indirectement, et affectant principalement la santé publique.
Ces questions sont au centre de mes préoccupations actuelles, avec la sauvegarde des terres agricoles. Je vous invite fortement à soutenir la campagne « Arrêtons de bétonner nos terres nourricières ! ».3/ Pourquoi défendez-vous avec autant de courage et de ténacité le CRIIGEN et les études menées par le professeur Gilles-Eric Séralini entouré d’une solide équipe de scientifiques ?
Effectivement cette grande préoccupation de la santé publique m’a conduit à soutenir – avec beaucoup d’implication et d’obstination mais aussi de reconnaissance – le CRIIGEN (Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le génie GENétique), le professeur Gilles-Eric Séralini et toute son équipe de scientifiques lanceurs d’alerte. Par leur humanisme, leur rigueur, leur clairvoyance, leur compétence, ils ont réalisé pour la première fois au monde une étude de toxicologie selon un protocole approprié. En particulier, l’étude a suivi des rats pendant toute leur vie, c’est-à-dire 24 mois. Ces chercheurs courageux ont levé le voile sur ce qui pourrait bien devenir le plus grand scandale sanitaire des temps modernes : l’usage agricole des OGM et du Roundup® – le pesticide le plus vendu au monde. (5)
4/ Qu’est-ce que le CRIIGEN plus précisément ?
Cofondé en 1999 par Madame Corinne Lepage, le Pr Gilles-Eric Séralini et le Pr Jean Marie Pelt, le CRIIGEN est un groupe unique et international d’experts ayant une approche transdisciplinaire. Ils étudient les bénéfices et les risques du génie génétique, des xénobiotiques (pesticides, perturbateurs endocriniens…) ainsi que les alternatives tant industrielles que réglementaires pour garantir une meilleure protection de la santé publique.
Indépendant des compagnies de biotechnologies, ce comité réalise des études scientifiques, des expertises et des contre-expertises afin de mieux appréhender et analyser les risques des biotechnologies et de leurs produits, et de révéler les carences de notre système d’évaluation – en particulier sanitaire – permettant à certains produits dangereux de se maintenir indûment sur le marché.
Il est actuellement présidé par le Dr Joël Spiroux de Vendômois, docteur en médecine, spécialiste en médecine environnementale, homéopathe, acupuncteur et ostéopathe.
Note : vous pouvez visiter leur site ici.
5/ En quoi les études menées par cette équipe sont-elles si importantes ?
Parce qu’elles touchent à des questions vitales pour les hommes comme pour les règnes animal et végétal.
L’équipe Séralini est celle qui a le plus publié au monde sur l’impact des OGM et des pesticides sur la santé. Trois exemples des plus importants :
La première étude de 2 ans réalisée sur des rats mangeant un OGM et buvant du Roundup dans sa formulation complète. (6)
La première étude de la toxicité sur cellules de pesticides à base de glyphosate et des adjuvants. (7)
La première étude de 9 pesticides dans leur formulation globale. (8)
Sans oublier leurs études importantes. (9) (10) (11) (12)
6/ Pourquoi lui a-t-on demandé de retirer son étude de la revue scientifique où elle était publiée ?
On ne lui a pas demandé de retirer l’étude publiée en 2012 dans la revue Food and Chemical Toxicology, elle a été retirée par la revue contre l’avis du Pr Séralini et de son équipe plus d’un an après sa publication, lors de l’entrée dans cette revue d’un ancien cadre de Monsanto.(13)
Il faut préciser que cette rétraction s’est faite sans respecter les règles éthiques de l’édition des publications scientifiques COPE (14). Il a été mis en évidence qu’il existe deux poids deux mesures dans l’acceptation des publications scientifiques. En clair lorsqu’une publication ne trouve pas d’effet négatif pour un pesticide ou un OGM, elle est publiée et non rétractée même si elle est réalisée sur les mêmes protocoles que ceux du Criigen.
Il est à noter que l’éditeur de Food and Chemical Toxicology vient d’être contraint à publier un droit de réponse après le retrait de l’étude NK603 et Roundup de l’équipe du Pr Séralini.(15)
7/ Que répondez-vous à ceux qui disent que les rats utilisés pour l’étude étaient particulièrement sujets à développer des tumeurs, et que, de ce fait, l’étude était biaisée ?
Les réponses de l’équipe Séralini à ces critiques ont été publiées en 2013 par la revue Food and Chemical Toxicology qui a retiré l’étude (16). Il est à noter que l’espèce de rats choisie pour l’étude est celle qui est la plus utilisée au monde pour les études de toxicologie.
8/ La campagne que vous portez demande un moratoire sur les OGM dans l’alimentation végétale et sur le Roundup (OGM) en application du « principe de précaution ». Comment est née cette campagne ?
Cette campagne est née fin 2012 au Salon Marjolaine où j’avais été invité à présenter la 2ème édition du livret « La Bio en questions » (17) dont je suis co-auteur. Il y avait eu alors un débat après la projection du film « Tous cobayes ? » de Jean-Paul Jaud, devant une salle archi comble avec un public sensibilisé par les images très fortes du film.
A la question d’un spectateur « Que pouvons-nous faire concrètement ? », j’ai spontanément émis l’idée de lancer une grande campagne de pétition pour l’obtention d’un moratoire sur les importations d’OGM et du Roundup®, ce qui recueillit l’assentiment enthousiaste de toute l’assistance.
Cette pétition citoyenne a déjà atteint plus de 100 000 signatures mais il est déterminant de continuer à bien s’en informer et de la signer et faire signer à l’adresse ici.
Les consommateurs ont jusqu’au 15 juin prochain, avant l’interpellation du Premier Ministre et des ministres concernés.
9/ Quel est le problème des OGM dans l’alimentation végétale ? et animale ? Et celui du Roundup ?
Les OGM végétaux actuels se répartissent de la façon suivante :
20% produisent leur propre insecticide,
55% sont tolérants à un herbicide ce qui veut dire que la plante peut se gorger d’herbicide sans en mourir,
25% contiennent de 2 à 8 gènes d’intérêt comme le maïs Smarstax qui tolère 2 herbicides et produit 6 insecticides.
Il est bien évident que ces pesticides se retrouvent dans l’alimentation animale ou dans les assiettes de la population mondiale.
Le problème fondamental, hormis les études montrant des effets délétères pour la santé, c’est qu’il faut savoir que l’évaluation des OGM et des pesticides montre de nombreuses failles :
Les études sont trop courtes : les OGM ne sont testés que trois mois et non sur de longues périodes, voir la vie entière, ce qui nous permettrait d’avoir le recul nécessaire.
Les tests ne sont pas crédibles : les pesticides dans leurs formulations globales, c’est-à-dire molécule dite active + produits de formulation ne sont testés que quelques jours sur la peau et les yeux sans bilan biologique sanguin, urinaire…
Il n’y a pas d’études toxicologiques indépendantes : elles sont réalisées par les compagnies productrices.
Il y a un manque de transparence pour ces études puisque les résultats biologiques sont considérés comme « secrets industriels » et donc inaccessibles.
Les offices d’accréditation ne sont pas non plus indépendants des lobbies. (18) (19)
Ces failles sont également dénoncées dans la présentation de la pétition « Consommateurs pas cobayes ! ».
10/ Comment pensez-vous convaincre la population de vous suivre massivement sur ces sujets ?
Par des campagnes d’information telles que « Consommateurs pas cobayes ! » qui tendent à faire connaître en toute objectivité, transparence et indépendance, les résultats des études du CRIIGEN.
Par d’autres études (celles que vous avez déjà évoquées dans votre lettre de l’IPSN, au Sri-Lanka, et plus récemment aux USA) et avec le soutien de nombreux acteurs et personnalités de la mouvance agro-bio-écologique, pami lesquelles Corinne Lepage, Michèle Rivasi, Pierre Rabhi, Henri Joyeux, José Bové, Marc Dufumier, Jean-Marie Pelt, Philippe Desbrosses, Claude Aubert, Lydia et Claude Bourguignon, etc. (20)
Faire connaître aussi tous les ouvrages particulièrement bien documentés sur le sujet, en particulier :
« Tous cobayes ! » du Pr Gilles-Eric Séralini (21),
« La vérité sur les OGM c’est notre affaire » de Corinne Lepage (22),
« OGM : la bataille de l’information » de Frédéric Prat (23),
« OGM un choix de société » de Christian Vélot (24)
et des films tels que :
« Le monde selon Monsanto » de Marie-Monique Robin (25)
ou plus récemment, en lien direct avec l’étude Séralini, le film « Tous cobayes ? » de Jean-Paul Jaud (26) dont la diffusion partout en France a occasionné de nombreux débats
et « OGM – alerte mondiale » deux documentaires autour de l’étude du Criigen sur le maïs transgénique NK603 de Clément Fonquernie (27).
Mais aussi par la prise de conscience sans cesse grandissante et le retour au bon sens terrien de nos concitoyens que je constate au travers de mes nombreuses conférences.
Je resterai un éternel optimiste !
Sources :
(1) Fédération Nature & Progrès
(2) Broyer pour valoriser !
(3) voir l’admirable monographie sur l’humus du savant Selman Abraham Waksman (Prix Nobel de Médecine 1952) publiée en 1938 dans sa 2ème édition, synthèse de 1311 communications originales
(4) Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le génie GENétique
(5) Les chiffres du Roundup® dans le monde
(6) Seralini GE, Clair E, Mesnage R, Gress S, Defarge N, Malatesta M, Hennequin D, de Vendomois JS: RETRACTED: Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize. Food Chem Toxicol 2012, 50:4221-4231. Retracted in Food and Chemical Toxicology. 2014, 4263: 4244
(7) Mesnage R, Bernay B, Seralini GE: Ethoxylated adjuvants of glyphosate-based herbicides are active principles of human cell toxicity. Toxicology 2013, 313:122-128.
(8) Mesnage R., Defarge N., Spiroux de Vendômois J., Séralini G.E: Major pesticides are more toxic to human cells than their declared active principles. . BioMed Research International 2014, Vol 2014, Article ID 179691.
(9) Seralini G-E, Mesnage R, Clair E, Gress S, de Vendomois J, Cellier D: Genetically modified crops safety assessments: present limits and possible improvements. Environmental Sciences Europe 2011, 23:10.
(10) Spiroux de Vendômois J, Cellier D, Velot C, Clair E, Mesnage R, Seralini GE: Debate on GMOs health risks after statistical findings in regulatory tests. Int J Biol Sci 2010, 6:590-598.
(11) Spiroux de Vendômois J, Roullier F, Cellier D, Seralini GE: A comparison of the effects of three GM corn varieties on mammalian health. Int J Biol Sci 2009, 5:706-726.
(12) Benachour N, Seralini GE: Glyphosate formulations induce apoptosis and necrosis in human umbilical, embryonic, and placental cells. Chem Res Toxicol 2009, 22:97-105.
(13) Food and Chemical Toxicology: Retraction notice to “Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize” [Food Chem. Toxicol. 50 (2012) 4221–4231] by Food and Chemical Toxicology 2014, 63:244
(14) COPE: Retraction guidelines. 2009.
(15) L’éditeur de Food and Chemical Toxicology obligé de publier un droit de réponse après le retrait de l’étude NK603 et Roundup de l’équipe du Pr Séralini
Séralini, G.-E., Mesnage, R., Defarge, N., Spiroux, J. (2014) Conclusiveness of toxicity data and double standards. Food and Chem. Tox. DOI 10.1016/j.fct.2014.04.018
(16) Seralini GE, Mesnage R, Defarge N, Gress S, Hennequin D, Clair E, Malatesta M, de Vendomois JS: Answers to critics: Why there is a long term toxicity due to NK603 Roundup-tolerant genetically modified maize and to a Roundup herbicide. Food Chem Toxicol 2013, 53:461-468.
(17) La bio en questions, 25 bonnes raisons de devenir bio consom’acteur
(18) Robinson C, Holland N, Leloup D, Muilerman H: Conflicts of interest at the European Food Safety Authority erode public confidence. J Epidemiol Community Health 2013.
(19) Meyer H, Hilbeck A: Rat feeding studies with genetically modified maize – a comparative evaluation of applied methods and risk assessment standards. Environmental Sciences Europe 2013, 25:33.
(20) Voir la liste des membres du comité de soutien
(21) « Tous cobayes! » (le livre) du Pr Gilles-Eric Séralini
(22) « La vérité sur les OGM, c’est notre affaire ! » de Corinne Lepage
(23) « OGM : la bataille de l’information » de Frédéric Prat
(24) « OGM un choix de société » de Christian Vélot
(25) « Le monde selon Monsanto » film de Marie-Monique Robin (disponible en DVD)
(26) Tous cobayes ? (le film, disponible en DVD) de Jean-Paul Jaud
(27) « OGM – alerte mondiale » : deux documentaires autour de l’étude du Criigen sur le maïs transgénique NK603 de Clément Fonquernie et Lieurac Production